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Reportage à Bizerte : Abdelkérim Zbidi sur le terrain

Un point de presse est improvisé par son équipe. Et Zbidi de dérouler les grandes lignes de son programme, mettant en contexte la visite de Bizerte qu’il considère comme une étape importante de sa campagne.

Hier, quatrième jour de la campagne, c’est à Bizerte que Abdelkérim Zbidi a posé ses valises pour s’offrir un bain de foule dans la ville du Nord, après avoir fait un détour par Ras Jebel où il a visité le marché. En lice dans la course présidentielle, ce candidat est atypique et sa campane l’est tout autant. Sans trop de moyens visibles, sans grosse machine de communication, sans passé politique partisan, il s’est lancé à corps perdu dans la course à Carthage. A son arrivée à Bizerte vers le coup de 11h00, ni mise en scène pour l’accueillir, ni même un circuit tracé que le candidat N° 10 devait suivre, pour être « normalement » acclamé par ses militants. Rien de tout cela. Le comité d’accueil, composé de jeunes vêtus de T-shirts rouges, l’attendait devant un petit bureau de coordination, criant à tue-tête « Ana bidi Maa Zbidi » a très vite été dépassé.

Ces jeunes aux T-shirts rouges ont suivi donc leur candidat qui a décidé de marcher au hasard. Les gens constatant que la voie est libre, pas de grands gaillards intimidants qui leur barraient la route, l’ont spontanément abordé. On lui tend la main, on veut l’embrasser, ou porter ses doléances. Une femme, la cinquantaine, un foulard sur la tête noué à la manière tunisienne, blanc et rose, comme le sont souvent les Bizertines, déclare son amour inconditionnel au candidat qui souriait timidement. Et, l’autre, un homme, encore jeune, mais visiblement usé par la vie, lui demande : « Qu’allez-vous faire pour Bizerte ? C’est une ville touristique, regardez-la. C’est un dépotoir. Nous avons été oubliés. »

Chemise blanche, pantalon foncé, le teint hâlé, le visage souriant, Zbidi paraît rajeuni et comme étonné d’être là. Il prend le temps de répondre à chacun. « Je connais bien Bizerte, j’y viens régulièrement ». Il marche, s’arrête, salue les gens, parfois tend l’oreille à quelqu’un qui l’interpelle et finit par rentrer dans un café. Ce n’était peut-être pas une bonne idée.

Remuer le passé

Une partie des habitants du Nord, pour ne pas dire dans leur majorité, était par le passé en délicatesse avec Bourguiba, qui les considérait, à juste titre d’ailleurs, des « Youssefistes », partisans de Salah Ben Youssef. Donc des adversaires. Le grand homme qui avait ses faiblesses avait couvé sa rancune à leur endroit sa vie durant. Laquelle rancune s’est répercutée sur sa politique. Avec Ben Ali, les choses ont même empiré. Plusieurs villes du Nord, historiquement en résistance contre le pouvoir central, ont carrément basculé dans le radicalisme. Menzel Bourguiba et Sejnane ne sont pas des cas isolés. Avec ce lourd passif, un homme attablé s’est senti dans son droit de remuer le passé : « Nous sommes Youssefistes, Bourguiba nous détestait, nous ne pardonnerons jamais ». Un autre déclare en baissant d’un ton : « Tous ceux qui ont travaillé avec Ben Ali n’ont pas de place chez nous » et un autre sort une photo du candidat du parti Ennahdha, Abdelfateh Mourou. Zbidi ne s’est pas démonté, aucun signe d’énervement n’est apparu sur son visage. Il s’est penché, a tenté de parler avec eux, essayant de les raisonner, autant que faire se peut.

Le plus virulent, celui se disant le représentant des « Youssefistes», s’est levé, a parlé avec de grands gestes, puis il a commencé à crier, à déclarer sa haine envers tous. Tout le monde a fini par lui tourner le dos. On ne comprenait pas très bien, s’il voulait faire parvenir un message ou juste attirer l’attention sur lui, voire semer la zizanie. En d’autres termes, créer un incident et perturber la visite du candidat. Sa colère était exagérée, ça sonnait faux. Après tout, ce n’était pas Bourguiba qui était en face de lui.

Pour que l’autorité judiciaire trouve son indépendance

Il faisait chaud, malgré le « vent du nord qui vient s’écarteler », pour nous rafraîchir un peu. Une nuée de journalistes continuait à suivre le candidat là où il va. Lui était décidé à poursuivre son chemin malgré le désordre et la pression de la foule. Finalement, il s’arrête, un point de presse est improvisé par son équipe. Et Zbidi de dérouler les grandes lignes de son programme, mettant en contexte la visite de Bizerte qu’il considère comme « une étape importante de sa campagne ». « Je veux que l’Etat recouvre sa force et sa souveraineté, son prestige. Il faut lutter contre le terrorisme et le crime organisé, lutter conter le chaos, l’anarchie, l’insécurité. Je veux dire par là que le prestige de l’Etat ne doit pas être un vain mot. » Il réfléchit un moment, et reprend : « Mais la souveraineté de l’Etat est un élément constitutif de la dignité du citoyen. Les deux aspects étant liés. » Et de poursuivre, plus offensif cette fois-ci : « Si l’eau a été coupée le jour de l’Aïd, cela veut dire que l’Etat est faible. Si un jeune homme rentrant le soir chez lui trouve la mort dans un braquage, cela signifie que l’Etat est faible. Si dans un hôpital public, plus de dix nourrissons trouvent la mort dans le même jour, et qu’une commission d’enquête est convoquée, sans que des mesures ne soient prises, cela veut dire que l’Etat est faible. Si le rêve des jeunes est de partir pour mourir en  mer, cela veut dire que l’Etat est faible». Il a en outre tenu à préciser qu’il fera en sorte que l’autorité judiciaire retrouve son indépendance.

« Le président de la République dispose de deux prérogatives, rappelle-t-il, la sécurité j’y suis, et les relations internationales. Depuis Bourguiba, poursuit-il, la diplomatie s’appuie sur la légitimité internationale, soutenir la cause palestinienne, mais également adopter une neutralité positive. Si on intervient, c’est dans une démarche de conciliation en vue de régler des litiges à l’amiable. »

Les villes du Nord sont des villes d’émigration. Le candidat a adressé un mot aux « Tunisiens résidant à l’étranger, ces ambassadeurs de la Tunisie. Mais encore, ils participent de manière effective à l’économie nationale et représentent la deuxième source de devises. Nous nous devons de les protéger», insiste-t-il.

Les actes plutôt que les paroles

Sur le long chemin des plaines, pour atteindre « le plat pays », 60 km séparant la capitale de Bizerte, les affiches des candidats coloraient le paysage. Celle de Zbidi détonnait. C’est l’un des rares qui n’a pas apposé son portrait sur l’affiche, mais un slogan en grosses lettres : « Les actes plutôt que les paroles ».

Abdelkrim Zbidi, ce jeudi à Bizerte, a répondu sur un ton égal, presque monocorde, aux interpellations publiques de la population. A un certain moment, on a eu peur qu’il se sente perdu dans ce bain de foule improvisé. Aux questions des journalistes, il hésite presque. C’est visible. Parfois il cherche ses mots. Il prend le temps de réfléchir. On aurait presque envie de lui souffler un mot. Mais on aurait tort. Zbidi semble avoir une vraie force intérieure. Celle qui fait les grands hommes d’Etat. Il n’est pas un professionnel de la politique, certes. Mais il semble sincère et doté d’une vraie force intérieure qui est parfois suffisante pour convaincre. Et convaincre, c’est tout l’art de la politique. Zbidi saura-t-il donc convaincre pour passer au second tour ?

Seuls les électeurs décideront.

Hella LAHBIB

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